You are currently viewing La correction était faite à l’envers

La correction était faite à l’envers

L'histoire :

J’auditais pour le compte d’un industriel pharmaceutique un sous-traitant qui assurait depuis de longues années les confirmations métrologiques pour son principal site de production. Ce prestataire était une petite société de 10 personnes, spécialisée en instrumentation et qui avait développé une activité d’étalonnage sur site. Considéré comme un fournisseur de services critique, cet industriel pharmaceutique me demanda de l’évaluer.

Étant quelqu’un de terrain, je demandais à observer une opération d’étalonnage en condition réelle. Le client organisa cela et je pus examiner cette opération sous l’observation de la responsable qualité fournisseurs et de quelques cadres techniques.

La technicienne sous-traitante était une personne inexpérimentée et récemment embauchée, je m’étonnais qu’elle soit seule pour faire face à cet audit et que son patron n’ait pas jugé utile de se déplacer, ne serait-ce que pour la soutenir. 

Je la laissais faire et suivre son mode opératoire, c’était un étalonnage d’une chaîne de température sans déconnexion, au sein d’un bain thermostaté par rapport à l’étalon de ce prestataire. 

Je fus attiré par l’utilisation d’une feuille Excel pour renseigner les données de cet étalonnage et je lui demandais qu’elle m’explique le rôle de ce fichier.

Elle me dit alors que c’était une feuille qu’elle avait construite elle-même et qu’il lui suffisait de renseigner la valeur lue sur l’étalon pour qu’automatiquement la valeur corrigée de ce dernier se calcule.

Je la félicitais pour la bonne intention, en effet corriger une erreur systématique, et de surplus sur un étalon est louable, mais au fond de moi, un ensemble d’alertes s’allumaient. 

Rappel essentiel

Un étalonnage est la comparaison entre un étalon et un instrument dans des conditions définies. Une donnée de sortie de l’étalonnage est un biais appelé aussi erreur systématique ou encore erreur de justesse, bref un écart. Il se calcule de la manière suivant : 

Ej = Vi-Ve avec Ej = Erreur de justesse, Vi = Valeur Instrument, Ve = Valeur étalon

Une fois cette erreur de justesse connue, l’utilisateur pourra appliquer une correction à l’instrument étalonné pour le rendre plus juste. La valeur de la correction étant l’opposé mathématique de l’erreur de justesse soit -Ej.

Rien de compliqué somme toute, si ce n’est qu’il ne faut pas confondre l’erreur et la correction ; or, dans les étalonnages en température, certains prestataires (accrédités ou non) annoncent dans leurs certificats soit la correction à appliquer, soit l’erreur de justesse constatée.

Examen de la formule

Mélanger l’erreur et la correction ou bien méconnaître la différence entre les 2 est assez fréquent. En ma qualité d’auditeur, je percevais immédiatement un risque. De plus, en environnement pharmaceutique, tout calcul important pour la qualité doit être validé et sécurisé, bref j’allais devoir vérifier tout cela.

Je posais donc la question à la technicienne «comment avez-vous validé l’équation qui corrige l’erreur de justesse de votre étalon ?» Je lus dans les yeux de la personne une incompréhension vis-à-vis ma demande qui pourtant était évidente pour moi et pour les représentants du client. Je clarifiai alors mon propos en lui demandant si elle avait vérifié le calcul par rapport au certificat d’étalonnage de l’étalon. Elle me répondit que non. Je lui dis que nous pouvions le faire très simplement et lui demanda de nous présenter le certificat en question.

Rapidement, elle le présenta et nous pûmes constater que la correction était faite à l’envers, c’est-à-dire qu’au lieu de retrancher X°C, son équation les ajoutait, ce qui doublait l’erreur de justesse. Bref, sa bonne intention de départ se traduisait par une erreur qui était amplifiée. La malchance voulue alors pour elle que la déclaration de non-conformité qu’elle allait s’apprêtait à faire se transforma en conformité avec l’utilisation de la bonne correction. Même si le public client n’était pas métrologue, il comprit tout de suite que l’opération n’était pas maîtrisée. Je ne pouvais malheureusement pas pour elle m’arrêter sur ce point et je lui demandais le niveau de sécurisation de sa fiche Excel. Là encore, elle s’étonna de ma question, preuve s’il en était de son inexpérience dans le domaine (c’était son premier poste après l’école). En sélectionnant la formule de correction de son tableur, nous constations qu’aucune protection de cellule n’avait été mise en place.

Ce dernier point faillit provoquer à mes clients pharmaceutiques une attaque cardiaque, car la grande thématique de leur usine pour l’année était la sécurité informatique. 

Réflexions

Ce prestataire était reconnu et apprécié par ce client, car il le dépannait rapidement et ne posait pas de problème. Le client n’ayant pas la compétence pour évaluer techniquement la prestation, il lui faisait confiance et peut-on lui en vouloir ? Si, je fais appel à un prestataire c’est parce que je ne sais pas faire, comment imaginer qu’il ne puisse pas être à la hauteur ? C’est difficile à croire, pourtant en métrologie non accréditée, c’est tout à fait possible. La plupart du temps, la métrologie dite  sous-traitée est celle du contrôle. C’est-à-dire que l’équipement de mesure fonctionne très bien avant intervention et on espère qu’il en sera de même après (surtout si le prestataire ne touche à rien). C’est totalement différent d’un dépannage où l’appareil est avant intervention en panne et où la qualité du prestataire est facile à observer. 

Comment sont évalués les prestataires de métrologie non accrédités ? Souvent, c’est sur le tarif, sur le délai de rédaction des certificats, sur sa souplesse à s’insérer dans le planning, sur des papiers où le mot CONFORME est facile à trouver. Relever une erreur de correction de l’étalon n’est pas si difficile lorsqu’on possède les bases du métier, mais impossible à faire sans cela. Dans de nombreuses entreprises, il a été décidé de sous-traiter «la métrologie» et de confier cette gestion à un technicien de maintenance en lui disant «tu peux faire ça en plus du reste parce que c’est juste gérer un planning et des certificats». Cela montre la mauvaise perception des industriels qui associent la métrologie aux contrôles des instruments. Le client perdant ainsi en compétence et étant à l’affut de la moindre économie, il sera alors très facile de faire travailler des prestataires inappropriés.

La faute repose en grande partie sur les clients qui ont de moins en moins de temps pour être compétents techniquement, mais aussi sur les auditeurs. Si ce genre de prestation est suffisante pour passer les audits, à quoi bon en faire plus ? pourrait s’interroger légitimement un industriel un peu cynique.

Le fonctionnement des entreprises actuel fait que le personnel va gérer les urgences. S’il n’y a pas d’écart sur la métrologie durant les audits, à quoi bon travailler sur le sujet ?

Pour finir, je souhaite bon courage à tous les métrologues d’entreprise qui doivent convaincre au quotidien de l’importance de leur poste. Et je crains que si leur métier ne se résume qu’à gérer un planning de contrôle d’instruments, ils ne puissent pas être concurrentiels face à des prestataires low cost.

Les enseignements

  • Ne pas confondre erreur de justesse et correction à appliquer, l’un est l’opposé de l’autre.

  • Méfiance devant les calculs automatisés : comment sont-ils validés ? Comment les valeurs sont-elles mises à jour ? Comment s’assurer de leur inaltération ? 

  • Un prestataire qui n’est pas accrédité n’a pas fait nécessairement fait l’objet d’audit technique sérieux.

  • Je peux faire intervenir un prestataire non accrédité, mais à moi de m’intéresser à son processus d’étalonnage : la compétence de l’intervenant, la qualité des méthodes, la gestion du matériel, la prise en compte des particularités de mon métier (ici la pharmacie).

  • Attention, la qualité d’une prestation d’étalonnage ne se voit pas forcément de l’extérieur. Un certificat rendu rapidement ne signifie pas une prestation correctement réalisée.

  • Une opération sous-traitée correctement réalisée devrait avoir un certain coût en accord avec la compétence, la méthodologie, le matériel à posséder. Attention aussi; ce n’est pas parce que vous payez cher que c’est bien fait. 

Pour développer vos connaissances sur ce sujet...

Laisser un commentaire